T’as découvert le pouvoir des mots assez tôt.

Déjà, en cinquième année, t’avais dix ans et tu te souviens de voir tes phrases affichées dans le corridor de l’école primaire. Ta maîtresse jubilait, plus fière que toi de tes entourloupes écrites.

Puis, l’écriture est passée au second plan. Elle s’est étouffée derrière le pragmatisme débile des nécessités matérielles et de la logique de l’orientation professionnelle qui doit bien déboucher sur quelque chose qui rapporte. Tsé, ne vas pas gâcher ta vie!

On n’enterre pourtant pas sa vraie nature si facilement.

De façon sporadique, le besoin faisait jour. Il perçait dans des articles de journal étudiant, dans des échanges épistolaires enflammés de l’époque d’avant le courriel et dans les rares occasions d’un cours de français salvateur.

Fumerolles volcaniques de mots, préambules des éruptions futures.

Asservi aux exigences de la vie moderne et aux factures mensuelles, tu t’es pourtant permis, dès ton retour de l’exploration d’une part du monde, de boire au compte-goutte le savoir et les connaissances qui allaient te permettre d’ouvrir, comme une noix que l’on fracasse, les chemins de l’expression littéraire. C’était l’université, à petites doses, pour ne pas secouer trop vivement les obligations du quotidien, les tromper, en quelque sorte.

Jusqu’au jour où il a bien fallu qu’un inévitable quarante ans te montre les abords du gouffre et que le presto des boulots rémunérateurs et videurs d’âme pète enfin.

La sortie du carcan.

Frais émoulu d’un parcours académique stimulant, tu étais libre enfin, malgré l’effrayante perspective de la précarité, d’assaillir le clavier et de soumettre des mots au monde.

Tu l’as fait.

Tes écrits, depuis lors, se plaisent à tapisser les pages de revues audacieuses, à se glisser dans des anthologies, des journaux, des recueils et des concours frémissants.

Ils ne demandent qu’à voyager encore plus…